Définition du "Rules as Code"
Le “Rules as Code” est une approche qui vise à traduire les lois et règlements en un format interprétable par des machines, tout en demeurant accessible et compréhensible pour les humains.
Au début du mois de mars, l'événement européen éponyme, organisé par la DINUM, a réuni de nombreux acteurs du monde privé et public (OpenFisca, Envergo, Mon entreprise) pour en débattre et partager des bonnes pratiques.
Voici les enseignements essentiels que nous en tirons.
Un postulat de départ fort : la loi et le code doivent être conçus de pair
La transformation numérique du secteur public ne se limite plus à offrir des services en ligne : elle bouleverse la manière même dont les lois sont écrites et appliquées. De nombreuses expérimentations, du Danemark à la France, montrent qu’il est difficile de faire respecter des règles complexes si elles ne sont pas, dès leur élaboration, conçues pour être traduites en code. Le mot d’ordre se fait entendre partout : plus question de penser la loi, puis ensuite son implémentation. La loi et le code doivent se concevoir ensemble.
Sortir de la logique du “après-coup” : la loi et le code se construisent de concert
Les différents retours d’expérience convergent : quand la loi est rédigée sans prendre en compte sa future implémentation, son application finit par patiner. Le projet danois de réforme fiscale illustre à quel point la complexité légale, couplée à un manque de collaboration avec les développeurs, peut conduire à un échec coûteux et prolongé : dix ans de travail, finalement repris de zéro.
À l’inverse, l’approche “Rules as Code” – portée entre autres par l’OCDE et finalement appliquée au Danemark – propose d’envisager la loi comme un système codé dès son écriture. Des itérations régulières entre les législateurs, les ingénieurs et les designers permettent de tester la faisabilité technique avant même que les textes ne soient écrits. L’idée n’est pas de simplifier la loi à outrance, mais de s’assurer qu’elle reste lisible, actionnable et testable.
Coder la règle, ce n’est pas l’appauvrir… c’est la mettre en capacité d’agir
On accuse parfois le code de “réduire” la loi à des algorithmes binaires. Or, la principale difficulté observée n’est pas que les règles soient trop complexes, mais qu’elles sont difficiles à traduire dans un système opérationnel. Quand les textes sont si touffus qu’ils découragent le citoyen ou l’agent public, il devient impossible d’en vérifier la bonne application.
Des outils comme Publicodes – utilisé par la solution “Mes Aides Réno” – montrent au contraire que la codification peut respecter la subtilité juridique tout en apportant une clarté nouvelle. Les règles sont écrites sous forme de pseudo-code français, compréhensible par le législateur comme par le développeur. Résultat : chacun sait pourquoi tel calcul aboutit à telle conclusion, et peut remettre en question la règle si besoin.
Des lois impossibles sans le numérique : l’exemple d'Envergo
Certaines lois n’auraient jamais vu le jour sans un socle technologique pour en vérifier l’application. C’est le cas d’Envergo, une start-up d’État (incubée par beta.gouv) qui aide à cartographier les contraintes environnementales pour les projets de construction (zones protégées, habitats d’espèces menacées, etc.). Fait marquant : la loi française imposant la préservation des haies agricoles s’est appuyée sur Envergo comme solution technique d’application. Sans outil centralisé de réglementation sur les destructions de haies, la loi serait restée purement théorique. Ici, la tech est non seulement un support, mais un catalyseur de nouvelles politiques publiques.
Transparence et responsabilisation : l’open source comme levier démocratique
Qui dit “code” ne dit pas forcément “boîte noire”. Dans la plupart des cas cités (Envergo, Mes Aides Réno, etc.), la publication en open source permet au public, mais aussi aux associations et experts, d’auditer directement la logique de calcul. Loin de remplacer les débats parlementaires, cette ouverture prolonge la discussion : chacun peut vérifier si la loi a été correctement transcrite.
Cette transparence favorise aussi une forme de responsabilisation partagée : si la règle est incomplète, trop complexe ou trop obscure, les retours des utilisateurs et des spécialistes peuvent conduire à des amendements ou des clarifications. Le code devient alors un acteur à part entière du processus législatif, au même titre que les juristes ou les parlementaires.
Construire un marché commun “GovTech” : la solution européenne ?
Enfin, les initiatives comme GovTech4All, lancées par la Commission européenne, témoignent d’une volonté de mutualiser les outils et les savoir-faire à l’échelle inter-états. Ce consortium rassemble 32 agences de 20 pays avec un triple objectif : créer un marché commun GovTech, améliorer la qualité des services publics numériques et encourager l’innovation (notamment via l'incubation de start-up).
Au-delà de la coopération technique, l’enjeu est politique : créer des communs numériques durables et éviter que chaque pays ne réinvente la roue. L’approche du rule as code en constitue un exemple concret, démontrant comment la mise en commun de pratiques peut accélérer la modernisation des administrations.
Conclusion
À travers ces différents exemples, un message ressort : quand le code est pensé en aval, la loi devient inapplicable. Quand on intègre les développeurs, les juristes, les designers et les citoyens dès le départ, on peut déployer des politiques publiques plus justes et plus efficaces.
Cette transition ne sera pas simple : elle suppose de revoir la culture administrative, de clarifier les responsabilités et de s’ouvrir à l’open source. Mais l’expérience danoise, la mise en pratique de “Rules as Code”, ou encore la réussite d’Envergo en France démontrent qu’il ne s’agit pas seulement d’une utopie : c’est le futur concret de la GovTech, en Europe et ailleurs.