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La méthode OKR, la solution miracle des PM pour prioriser ?

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En novembre dernier, mon équipe et moi nous sommes retrouvés face à un dilemme, alors que nous travaillions sur la roadmap de fin d’année : les deux objectifs de notre produit, hausse des comptes créés et hausse des rendez-vous pris, initialement alignés, s’opposaient alors frontalement.

Il fallait choisir, mais nous n’arrivions pas à prioriser, car nous manquions d’éléments tangibles.

Nous manquions d’un outil nous permettant de prioriser de façon rationnelle. Il nous fallait des objectifs chiffrés, court-termes.

J’ai donc pris la décision de définir des OKR : Objectives Key Results.

Je connaissais la méthode, mais la mettre en place ne fut pas si aisé.

Dans ce retour d’expérience, je vous partagerai :

  • Quelques conseils sur comment définir des OKR,
  • Les raisons pour lesquelles je recommande cette méthode,
  • Les limites de cette méthode pour mon cas d’usage précis.

Contexte : Un site avec à la fois un espace connecté et déconnecté

Je travaille sur le site bpifrance-creation.fr, site de référence en matière de création d’entreprises, qui dispose à la fois d’un espace déconnecté et d’un espace connecté : le Pass Créa.

Sur l’espace déconnecté, les utilisateurs ont accès à des ressources sur l’entrepreneuriat, des outils et surtout la fonctionnalité Être Accompagné, une sorte de Doctolib des réseaux d’aide à l’entrepreneuriat, soit un système de mise en relation et de prise de rendez-vous avec des experts de la création d’entreprise.

Se créer un Pass Créa permet d’accéder à un espace sécurisé et gratuit, proposant un parcours de création personnalisé, un business plan en ligne, des modèles de pitch deck, un coffre-fort…

Les objectifs du projet étaient les suivants :

  • Augmenter le nombre de comptes Pass créa,
  • Augmenter le nombre de rendez-vous pris via Être accompagné.

Problème : Augmenter les comptes créés ou augmenter les rendez-vous pris, that is the question

Pour la fin d’année, nous avions décidé d’insister sur la création de Pass, et de faire en sorte que la fonctionnalité Être Accompagné, qui est accessible à tous les utilisateurs, serve à convertir les utilisateurs.

Avec ces indications, ma recommandation était la suivante : s’inspirer de Doctolib justement, et rendre la création de Pass obligatoire pour la prise de rendez-vous en ligne. Mais cette proposition amenait un risque : faire diminuer le nombre de rendez-vous pris.

Dans ces conditions, nos deux objectifs entraient en contradiction.

Comment trancher ?

Contre-mesure : Définir des OKR pour aligner tout le monde et pouvoir prioriser plus facilement.

Ce qui nous empêchait de trancher, c’est que les objectifs du Produit (Augmenter le nombre de rendez-vous pris via Être Accompagné, Augmenter le nombre de comptes créés) étaient trop lointains et non chiffrés.

J’avais le sentiment que définir des objectifs produits chiffrés, avec un horizon de temps, allait créer une dynamique positive sur le projet et nous aiderait dans nos prises de décision quotidiennes. Si je sais que je dois augmenter de 20% les Pass créés et de 5% la prise de rendez-vous, alors la solution proposée est potentiellement crédible et je suis prêt à prendre le risque.

Lorsque l’on est Product manager, il n’est pas toujours évident d’être sûr de la valeur de ce qu’on développe. Avoir des objectifs chiffrés, à court ou moyen terme, permet de s’assurer que tous les développements choisis vont dans ce sens. Si tel n'est pas le cas, il nous faut alors justifier notre décision, ce qui initie des discussions intéressantes.

La méthode OKR permet justement de mettre les objectifs définis par l'entreprise au centre des équipes. Elle doit permettre de faire le lien entre des objectifs business macros, et des résultats clés, plus micros, qui facilitent la prise de décision au quotidien.

Voici mon retour d’expérience sur la mise en place d’OKR :

ETAPE 1 : Définir les objectifs business

La première étape consiste à définir les objectifs business. On est parfois tellement concentré sur l’utilisateur qu’on en oublie la viabilité du produit. Il faut remettre le business au centre des préoccupations.

Nous avons donc mis à plat les objectifs business définis par Bpifrance pour le site bpifrance-creation.fr, car même s’il est totalement gratuit et sert une mission d’intérêt général, ses performances peuvent tout de même être objectivées. Donc peu importe votre produit, pas d’excuse à ce niveau là.

Concernant notre produit, les objectifs business sont les suivants :

  1. Augmenter la notoriété de Bpifrance
  2. Augmenter le nombre d’entrepreneurs accompagnés par des réseaux d’aide à l’entrepreneuriat afin d’augmenter la longévité des entreprises

ETAPE 2 : Définir les objectifs produits

La seconde étape consiste à définir les objectifs produits, c'est-à-dire les objectifs que doit atteindre le produit pour répondre aux objectifs business.

Voici le résultat de notre réflexion :

  1. Augmenter la notoriété de Bpifrance
       a) Augmenter le nombre de visites sur la partie déconnectée
       b) Augmenter l’utilisation de la partie connectée (car plus ils sont engagés, plus ils se souviendront du soutien de Bpifrance)
  2. Augmenter le nombre d’entrepreneurs accompagnés par des réseaux d’aide à l’entrepreneuriat
       a) Augmenter le nombre de rendez-vous pris

Donc nous avons 3 objectifs produits :

  1. Augmenter le nombre de visites sur la partie déconnectée
  2. Augmenter l’utilisation de la partie connectée
  3. Augmenter le nombre de rendez-vous pris

 

💡 NB : On peut chiffrer ou non ses objectifs produits et business, la réponse varie selon les articles que j’ai pu trouver sur internet. Il me semble toutefois que dans une organisation idéale, tous les objectifs sont chiffrés. Cela va dépendre de votre maturité en termes de Data Management, car plus on a de chiffres plus il est difficile de tous les suivre. De notre côté nous avons fait le choix de ne pas les chiffrer pour notre première itération.

 

ETAPE 3 : Définir les key results

La dernière étape, c’est de définir les Key Results (les résultats clés), c’est-à-dire les sous-objectifs, chiffrés, qui une fois atteints vont permettre d’atteindre l’objectif produit. Cela demande une réflexion approfondie sur les différents leviers actionnables, ce qui dépend donc beaucoup du produit en lui-même.

Par exemple : si l’objectif est d’augmenter le chiffre d'affaires d’un site e-commerce de 10% sur les 3 prochains mois, les résultats clés peuvent être d’augmenter la valeur moyenne du panier de 8%, et le nombre d’achat de 5%. Si les 2 résultats clefs sont atteints, l’objectif est atteint, et même dépassé.

Choisir ses key results n’est pas facile car il y a autant de résultats clés possibles qu’il y a de leviers différents pour atteindre son objectif. Il n’y a pas de nombre de résultats clés obligatoires mais il ne vaut mieux pas dépasser 3 par objectifs.

Par exemple : Pour augmenter le chiffre d’affaire d’un site e-commerce de 10%, on pourrait choisir d’augmenter à la fois :

  • La valeur moyenne du panier
  • Le nombre d’achats réalisés
  • Le taux de conversion de la page de paiement
  • Le nombre d’achat mensuel par compte utilisateur

Comment choisir alors ?

1. L’organisation de l’équipe

Le site bpifrance-creation.fr est géré par différentes équipes appartenant à différentes directions. Définir les OKR du site était l’occasion de les aligner à un niveau plus opérationnel. Ainsi les équipes travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun, tandis que chacune est responsabilisée en étant autonome pour atteindre son résultat clé.

Ainsi, pour atteindre notre objectif de hausse du nombre de rendez-vous pris, nous avons défini un résultat clé sur le nombre de vue sur le formulaire (ie le flux entrant) et un résultat clé sur le taux de conversion du formulaire. L'équipe qui s’occupe de l’amont du formulaire a un objectif d’augmenter les redirections vers “Être accompagné” tandis que l’équipe qui s’occupe du formulaire a pour objectif d’améliorer son taux de conversion.

De la même façon, si nous avions eu plusieurs équipes qui s’occupaient chacune d’une partie du formulaire, nous aurions fixé un résultat clé pour chaque partie.

2. La meilleure opportunité de croissance

Si l’objectif est d’augmenter le nombre de rendez-vous pris sur le site, on peut agir sur le nombre de prospects entrant dans le formulaire de prise de rendez-vous, sur le taux de conversion du formulaire, ou sur le taux de conversion de la page de prise de rendez-vous. Si le taux de conversion du formulaire est de 90% et celui de la page de prise de rendez-vous de 50%, alors on peut faire le choix que pour la période à venir, le résultat clé soit d’atteindre un taux de conversion de la page de prise de rendez-vous de 70%.

Le trimestre suivant, on pourra changer de Résultat clé, car on aura suffisamment progressé sur la page de prise de rendez-vous.

💡 Le choix des Résultats clés est une étape importante de la mise en place des OKR. Ils vont influer grandement sur la roadmap des mois à venir. C’est au Product Manager de les choisir en fonction de ses convictions et de l’organisation de l’équipe.

 

ETAPE 4 : CHIFFRER

Après avoir choisi les leviers sur lesquels nous souhaitions agir, nous avons chiffré les résultats clés.

Il y a deux bénéfices à cela :

  • Définir notre ambition : si je ne veux pas seulement augmenter de 10% le taux de conversion du formulaire, mais le doubler, cela va nécessiter un effort plus important et nécessitera de déprioriser d’autres développements
  • Déclencher des discussions intéressantes : si une équipe n’atteint pas son résultat clé, ou à l’inverse si elle l’atteint mais que cela n’influe pas sur l’objectif, on peut en apprendre plus sur notre produit en discutant du choix du résultat clé, du chiffre fixé, de l’organisation de l’équipe etc.

Dans la théorie des OKR, il faut fixer des objectifs et résultats clés ambitieux et être satisfait si on ne les atteint qu’à 70%.

De notre côté, nous avons fait le choix de définir des résultats clés atteignables afin d’embarquer les équipes dans cette nouvelle méthode.

Le résultat :

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Mes apprentissages :

1. Je recommande vivement la méthode OKR

Définir des OKR a permis de déclencher des discussions très intéressantes sur les objectifs business et produits, et de prendre de la hauteur par rapport aux sujets opérationnels du quotidien.

Maintenant que nous sommes alignés sur ces objectifs, à chaque nouvelle fonctionnalité que nous développons, nous nous alignons sur le résultat clé sur lequel elle influe. S’il n’y en a pas, alors c’est que cette fonctionnalité n’est pas prioritaire.

Au quotidien, avoir un objectif chiffré à atteindre permet de garder l’équipe motivée, car elle constate l’avancée par rapport à l’objectif, et la précision des résultats clefs permet de voir un impact direct entre ses développements et le résultat clé.

2. Attention toutefois, c’est un travail à recommencer régulièrement

Les OKR sont un travail itératif. Il faut régulièrement se fixer de nouveaux résultats clefs, les grandes organisations techs le font de manière trimestrielle. Cela permet d’avoir des objectifs court-termes sur lesquels on a de la visibilité et de concentrer ses efforts (à la manière des sprints en méthode Scrum). De plus, on peut changer les résultats clés sur lesquels on se concentre en fonction de l’évolution de notre produit, ou des objectifs business.

Par exemple, nous réfléchissions récemment à réaliser un développement, mais il n’influait sur aucun de nos résultats clés. Nous nous sommes alors rendus compte qu’il y avait eu une évolution sur les objectifs business qui rendait légitime ce nouveau développement. Nous allons donc retravailler sur nos OKR.

💡 Il ne faut donc pas avoir peur de se lancer ! C’est un travail vertueux qui permet de rediscuter de la raison d‘être de son produit.

 

 


 

Conclusion :

Une fois que nous avons défini les OKR de bpifrance-creation.fr pour le premier trimestre 2024, sommes-nous en capacité de répondre avec assurance à la question suivante : ”Devrions-nous rendre la création de compte nécessaire à la prise de rendez-vous ?”

Aujourd’hui non. Rendre obligatoire la création de compte pour prendre rendez-vous risque toujours de faire baisser le nombre de rendez-vous pris, d’une manière que je ne sais pas quantifier, or notre objectif reste de faire augmenter les deux.

Pour répondre à cette question, il faut réfléchir à ce que cette tension entre nos deux objectifs indique de ces derniers.

Sur Doctolib, la création de compte est obligatoire car elle garantit la sécurité des échanges d’informations personnelles et sert l’objectif principal qui est de digitaliser la relation entre l’utilisateur et le médecin. De plus, au moment où l’utilisateur doit créer son compte, il a déjà trouvé le médecin qu’il lui faut et l’horaire de son rendez-vous, il a donc déjà pris conscience de la valeur de ce que lui apporte Doctolib et est prêt à faire l’effort de créer son compte pour obtenir ce rendez-vous.

Sur Youtube, la création d’un compte n’est pas obligatoire pour visionner des vidéos, car un utilisateur ne peut pas réaliser le plaisir que peut lui apporter les vidéos youtube s’il n’en a pas déjà visionné. Avoir un compte est donc un Nice to have pour l’utilisateur, elle va lui permettre d’accéder à des fonctionnalités plus avancées.

La question de la création de compte est donc plus complexe à résoudre et n’est pas simplement une histoire d’objectifs chiffrés … A suivre !